La mort à l’horizon déclenche souvent une peur à la fois existentielle et très concrète : peur de souffrir, de « ne plus être », d’abandonner les siens, d’étouffer, de perdre le contrôle… En soins palliatifs et en EHPAD, l’hypnose s’impose comme une approche douce et personnalisée pour soulager ces peurs, réduire la détresse et aider les patients à vivre plus sereinement leurs derniers moments. Contrairement aux idées reçues, elle n’endort pas la volonté : elle ouvre un espace d’attention focalisée et d’imagination guidée où l’on peut transformer l’expérience subjective de l’angoisse, de la douleur et de l’incertitude.
Des revues et travaux récents indiquent que l’hypnose en contexte palliatif est faisable, acceptable pour les patients et peut améliorer douleur, anxiété, sommeil et bien-être, même si des essais contrôlés plus robustes restent nécessaires pour trancher l’ampleur exacte des effets.
Pourquoi la peur de la mort prend autant de place
En fin de vie, la peur ne vient pas uniquement de la douleur physique. Elle surgit aussi des ruptures biographiques (perte de rôles, de projets), de la confrontation à l’inconnu et des sensations corporelles (dyspnée, douleurs, insomnies) qui « parlent fort ». Cette peur est souvent diffuse, difficile à mettre en mots. Les patients décrivent « couler », « se décrocher », « perdre pied ». L’hypnose offre un cadre sécurisé pour nommer ces sensations, en modifier l’intensité et leur redonner un sens supportable. Des études qualitatives menées auprès de patients en oncologie palliative montrent que les séances les aident à apprivoiser l’angoisse, à avancer « étape par étape » et à retrouver de la sérénité.
Comment l’hypnose soulage la peur de mourir
Le travail sur les métaphores : déplacer l’angoisse vers des images maîtrisables
En hypnose, la métaphore n’est pas un « joli discours » ; c’est un outil de régulation émotionnelle. Un patient qui « étouffe à l’idée de partir » peut imaginer un rivage où chaque vague emporte un peu d’angoisse et ramène un souffle plus ample. Une patiente inquiète de « laisser ses enfants » peut visualiser un jardin confié à de bonnes mains, arrosé de messages qu’elle dicte mentalement, planté de souvenirs-graines qui continueront de pousser. Ces images, co-créées avec le patient, s’ajustent finement à sa culture, ses croyances et son histoire. Elles deviennent des « rails attentionnels » qui réduisent l’emballement physiologique (respiration, tension musculaire), et donc la sensation d’angoisse.
Régression vers des souvenirs apaisants : raviver le « sentiment de sécurité »
La régression hypnotique bien conduite invite à revisiter des instants sûrs et ressourçants (une sieste dans la maison d’enfance, une odeur de pain, la lumière d’un soir d’été). On ne « fouille » pas le passé : on réactive des traces sensorielles positives et on les ancre dans le corps d’aujourd’hui (respiration, détente, chaleur dans les mains). Chez des personnes âgées, ces souvenirs autobiographiques peuvent être étonnamment accessibles, car la suggestibilité hypnotique ne disparaît pas avec l’âge ; certaines données suggèrent même qu’elle se maintient, voire augmente légèrement, sous réserve d’adapter le guidage à l’attention fluctuante.
Ancrages somatiques et respiration : redonner du contrôle à l’instant
La peur de mourir écrase souvent la sensation de contrôle. L’hypnose redonne des leviers concrets : s’ancrer dans un point du corps « agréable » (chaleur au thorax, lourdeur confortable des jambes), synchroniser le souffle sur une image (gonfler un ballon, bercer une barque), associer l’expiration à la « dépose » de la peur sur un support (galet, corde qui déroule). Ces micro-techniques reprennent vie au lit, la nuit, entre deux soins, sans matériel.
Dissociation protectrice et réassociation graduelle
Quand la douleur ou la suffocation dominent, on peut proposer une légère dissociation : « comme si » l’on observait la sensation à distance, depuis un balcon intérieur, en notant qu’elle monte/descend, change de texture. Cette distance sécurisée est ensuite réduite progressivement pour réintégrer le corps avec plus de confort. Les revues cliniques en soins palliatifs rapportent des bénéfices sur douleur et anxiété, ce qui contribue indirectement à apaiser la peur de la mort.
Hypnose en EHPAD et soins palliatifs : ce que disent les études
Les contextes EHPAD et hospitaliers partagent un enjeu : proposer des approches non médicamenteuses complémentaires, réalistes dans des organisations sous tension. Les publications récentes soulignent trois points :
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Faisabilité et acceptabilité
Des essais pilotes et études de faisabilité (y compris à domicile en fin de vie) montrent que des protocoles d’hypnose brefs, adaptés au lit ou au fauteuil, sont réalisables et bien acceptés par les patients et leurs proches. -
Effets prometteurs mais hétérogènes
Meta-analyses et revues indiquent des améliorations de la douleur, de l’anxiété, du sommeil et du bien-être, surtout quand l’hypnose est combinée à la musique ou intégrée dans un programme multimodal. Toutefois, la littérature reste limitée et appelle des essais contrôlés spécifiques au cadre palliatif/EHPAD. -
Qualitatif : apprivoiser l’angoisse de mort
Des travaux francophones en soins infirmiers rapportent que les séances aident les patients à explorer la nature de leurs craintes, à s’y confronter dans un espace sécurisé et à les « apprivoiser », ce qui se traduit par davantage de sérénité dans le quotidien.
En parallèle, la montée des approches non médicamenteuses en établissements (ex. jardins thérapeutiques) montre que les dispositifs d’apaisement sensoriel et narratif ont leur place auprès des personnes âgées fragiles. L’hypnose s’inscrit dans cette même logique de « milieu contenant » et de régulation émotionnelle.
Adapter aux troubles cognitifs et à la fragilité
En EHPAD, l’attention peut fluctuer, le langage se réduire. On privilégie des inductions ultra-simples, des phrases courtes, beaucoup de sensoriel (toucher de la couverture, lumière par la fenêtre), et des métaphores très concrètes. Les séances sont plus courtes, mais répétées. On implique les proches et les soignants (formation flash à deux ancrages et une image). Les observations de terrain et certains articles de synthèse plaident pour cette adaptation « micro-doses » d’hypnose, tout en rappelant le besoin d’essais mieux contrôlés.
Sécurité, éthique, contre-indications
L’hypnose n’est pas une alternative aux traitements, mais un complément. Elle est généralement bien tolérée ; on évite cependant les inductions longues en cas de confusion aiguë, d’agitation sévère, d’hallucinations menaçantes, ou de souffrance psychotique non stabilisée. L’objectif n’est pas d’imposer des croyances ni de « positiver » à tout prix : c’est d’ouvrir un espace où la réalité du mourir peut être ressentie avec plus d’appuis, moins de panique, davantage de sens.
Sur le plan éthique, on obtient un consentement éclairé (même bref), on respecte la temporalité du patient, ses références spirituelles et culturelles, et on documente la séance. La famille est associée si le patient le souhaite (par exemple pour continuer l’ancrage ou relire un texte métaphorique qu’il a choisi).
Sources clés (sélection)
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Revue/méta-analyse et preuves en contexte palliatif (hypnose ± musique), faisabilité et effets sur douleur/anxiété/sommeil/bien-être. PubMed+2Frontiers+2
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Études et revues 2025 sur l’intérêt en soins palliatifs (bilan nuancé, besoin d’essais robustes). SAGE Journals
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Étude qualitative francophone : apprivoiser l’angoisse de mort. CHU Nantes
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Suggestibilité et personnes âgées. sfgg.org
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Faisabilité de l’hypnose à domicile en fin de vie, bénéfices rapportés. jpsmjournal.com+1
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Contexte non médicamenteux en établissements (environnement apaisant). Le Monde.fr
